Critique: Gilles Renault in Libération, 10th February 2021
Exposée à Paris, la plasticienne néerlandaise Paulien Oltheten combine vidéo, photo et installation pour ausculter avec drôlerie et acuité les faits et gestes du quotidien.
Des clips égrenant curé prosélyte, pèlerins se traînant sur les genoux, ou bonnes sœurs priant dans des cercles blancs peints sur le bitume… Propice à la rencontre, l’espace public est le terrain de chasse exclusif de Paulien Oltheten. Y compris dans le marasme actuel, à l’exemple d’un séjour à Lourdes durant l’été 2020 qui faisait l’objet samedi 6 février d’une projection/performance à la galerie des Filles du Calvaire. Personne, en France, ne connaissait la trentenaire néerlandaise jusqu’à ce que les Rencontres d’Arles ne lui décernent en 2018 le Nouveau Prix Découverte, au nez et à la barbe de dix autres postulants internationaux, pour la Défense, le regard qui s’essaye», un docu d’une quarantaine de minutes (plus quelques zakouskis) commenté par icelle, qui, du reste, occupe encore l’espace central de l’actuel déballage parisien, si jubilatoire, malin et imaginatif qu’il serait regrettable de s’en priver en ces temps de disette.
Tout sauf misanthrope, Paulien Oltheten part à l’aventure, de New York à Paris, via l’Iran ou la Russie, en quête d’une sociologie vernaculaire d’autant plus pertinente qu’exempte de toute cuistrerie moralisatrice. Guetteuse statique d’un quotidien sur lequel elle pose un regard faussement ingénu, sa démarche consiste en effet à traquer les gestes les plus banals et répétitifs de ses semblables, avec lesquels elle entre parfois en relation afin de chercher à comprendre le pourquoi d’un comment… qui ne pose pas nécessairement question. Ainsi de cet homme, occupé à fouiller un monticule de détritus ; ou de Renée, une retraitée interceptée sur un parvis, dont on apprendra entre autres que jadis, elle tomba amoureuse d’un dentiste déjà marié.
Fascinée par ce qu’elle nomme «la routine et les non-moments», Paulien Oltheten combine vidéo, photographie, dessin et installations, à partir d’éléments qu’elle glane et assemble (carnets scolaires, cartes postales…), au gré d’enquêtes en apparence aussi dérisoires que finalement cocasses, poétiques et émouvantes, où le geste artistique déborde du cadre pour confiner à l’étude anthropologique sans apprêt. «Capter ces moments pendant de nombreuses années constitue progressivement une archive d’images qui ne cesse de s’enrichir», précise la plasticienne, suggérant une Sophie Calle embauchée par Strip Tease (l’émission télé culte de Jean Libon et Marco Lamensch). En établissant constamment de nouvelles connexions entre d’anciennes et de nouvelles trouvailles, j’ai l’impression qu’au fil du temps, une vérité universelle se dessine dans le comportement humain […] Mais je suis moi-même un élément actif dans les scènes photographiées. Délibérément sur la corde raide entre le réel et la mise en scène, je trouve intéressant de confronter le public à cette ambiguïté […] de telle sorte qu’il y ait toujours une distorsion, un moment de confusion lorsque les gens commencent à se demander s’ils voient la “réalité”».
«Suitcases Routines and scenes of the improbable», Paulien Oltheten, galerie les Filles du Calvaire, 75003, jusqu’au 20 février.